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Par Pascal Riché | Rue89
En se plongeant dans les statistiques de l'organisme de sondage Gallup, portant sur 450 000 Américains, deux chercheurs ont découvert le revenu à partir duquel l'argent ne faisait plus trop le bonheur : 75 000 dollars par an et par ménage (55 000 euros). En deçà, les sondés ne sont pas satisfaits ; au-delà, leur bonne humeur plafonne.
L'étude, publiée dans la revue Proceeding of the National academy of sciences, a été conduite par un psychologue et un économiste : Daniel Kahneman et Angus Deaton, de l'université de Princeton. Les deux hommes ont distingué deux mesures possibles du bien-être :
Une mesure subjective : « Etes-vous satisfait de votre vie ces jours-ci ? »
Une mesure objective : la fréquence et l'intensité des moments de joie,
stress, tendresse, colère, etc, notées pendant une journée.
Les résultats de leurs recherches sont très différents selon ces deux mesures. L'impression d'être heureux continue de croître après 75 000 dollars de revenus. En revanche, la mesure concrète du bien-être atteint un plafond à partir de 75 000 euros.
Sur le graphique ci-dessous, deux courbes. La première, « bien-être quotidien », représente les déclarations des sondés sur ce qu'ils vivent (différence entre les réponses évoquant joie, sourire, bonheur et celles évoquant tristesse, inquiétude…). La seconde, « impression de bonheur », représente les réponses à la question « Etes-vous satisfait de votre vie ces jours-ci ? » (Voir le graphique)
Commentaire des deux chercheurs :
« Il est possible que 75 000 dollars soit un seuil au-delà duquel de nouveaux accroissements du revenu n'aident plus les individus à faire ce qui correspond le mieux à leur bien-être ressenti : passer du temps avec les gens qu'ils aiment, éviter les souffrances et les maladies, et avoir des loisirs. »
Ce n'est pas la première fois que des économistes se penchent sur ce « chiffre magique », seuil à partir duquel nos besoins seraient satisfaits. Il est même au cœur des préoccupations de la science économique. Elle intéresse particulièrement ceux qui remettent en cause le caractère illimité de la croissance. Dans un monde fini, la consommation doit avoir des limites.
Ce que l'on constate -quoiqu'en dise la sagesse des nations- c'est que l'argent fait le bonheur. Les riches, eh oui ! sont plus heureux que les pauvres.
A ce stade, on peut citer deux grands auteurs qui résument tout :
Fedor Dostoïevski (1821-1881) : « La monnaie, c'est de la liberté frappée. »
Michel Colucci, dit Coluche (1944-1986) : « L'argent ne fait pas le bonheur des pauvres. »
L'envie du « mieux » et l'envie de surpasser le voisin
Les économistes constatent que le lien entre le revenu et bonheur est largement relatif. Si vous gagnez 25 000 euros par an, vous jugerez nécessaire de gagner 35 000 euros pour être heureux ; mais si votre revenu atteint ces 35 000 euros, votre revenu idéal passera à 50 000 euros… Le sentiment de satisfaction vient en réalité de l'élévation constante de votre pouvoir d'achat.
« Pourquoi cherche-t-on à augmenter ses revenus ? Deux hypothèses : un, les humains aiment l'idée même de croissance de leur revenu et de leur consommation, une poursuite qui agit comme une drogue ; deux, ils cherchent à gagner plus que leur voisin », résume l'économiste Daniel Cohen, qui a consacré une partie de son dernier livre, « La Prospérité du vice », au sujet.
La poursuite addictive du « mieux », d'une part ; la rivalité mimétique chère à René Girard, d'autre part…
Une autre courbe du bonheur
Tim Jackson, économiste britannique qui prêche la « prospérité sans croissance », a consacré un chapitre de son livre au sujet. Il publie un graphique éloquent (voir ci-dessous) qui semble confirmer, à l'échelle de la planète, qu'il existe un « plafond » au revenu-déclencheur-de-bonheur. Au-dessus de 15 000 dollars par habitant, le niveau de satisfaction ne réagit plus. On ne se sent pas plus heureux aux Etats-Unis qu'à Porto Rico.
Pour lire le graphique :
plus le pays est à droite, plus ses habitants sont riches (aucune allusion politique là-dedans) ;
plus le pays est en haut, plus il est heureux (peuplé de gens se déclarant « satisfaits dans la vie en général »). (Voir le graphique)
La conclusion à tirer de tout cela ? Si le but de l'économie est d'accroître le bonheur sur la planète, il est bien plus efficace d'augmenter le revenu des pauvres que celui des riches.
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